Le point sur le faisan d’Edwards fin 2016
Alain Hennache
Nous avons reçu, début août, les résultats de la troisième série d’analyses génétiques concernant les faisans d’Edwards et du Vietnam ; c’est donc l’occasion de faire le point sur les projets de conservation ex et in situ concernant ces oiseaux.
Les * soulignés renvoient au glossaire à la fin
Conservation ex situ
A l’automne 2015, quelques femelles de faisans d’Edwards montraient des marques brun clair (stries, taches) sur les rémiges primaires et sur les rectrices (photo1), ce qui ne correspond pas au type de l’espèce tel que décrit par Oustalet au XIXe siècle puis par Jean Delacour ensuite (photo 2). Plusieurs hypothèses étaient possibles, entre autres traces d’hybridation avec les faisans de Swinhoe ou argenté, variabilité individuelle ou consanguinité révélant des caractères ancestraux. Dans le doute, et suite à une enquête menée à l’échelon européen, nous avons décidé de demander aux éleveurs de suspendre la reproduction de tels oiseaux durant la saison 2016.
Photo1 : rémiges d’une femelle Edwards avec des anomalies de plumage.
Photo2 : rémiges d’une femelle Edwards telle que décrite par Delacour.
Dans le même temps des femelles de faisans du Vietnam ont montré également des défauts de plumage au niveau des rémiges et des rectrices, qui rappellent les dessins observés sur des femelles hybrides expérimentales faisan d’Edwards X faisan argenté obtenues à Clères en 1999-2000 dans le cadre de la reconstitution du faisan impérial (photo3 et photo4). Une photo d’un mâle faisan du Vietnam prise par John Corder au Zoo de Hanoi est également intéressante ; il n’a pas de rectrices blanches, il est plus haut sur pattes, le plumage est plus foncé et les rectrices sont effilées plus qu’arrondies, ce qui n’est pas sans rappeler, sauf la huppe blanche, le mâle de faisan impérial (photo5). Est-il possible que le faisan du Vietnam soit en réalité une forme dérivée du faisan impérial plutôt que du faisan d’Edwards ?
Photo4 : rémiges d’une femelle faisan du Vietnam avec un plumage rappelant celui des hybrides Edwards X argenté.
Photo3 : rectrices d’une femelle faisan du Vietnam avec un plumage rappelant celui des hybrides Edwards X argenté.
Photo5 : mâle de faisan du Vietnam ayant perdu ses rectrices blanches ; on remarque la queue effilée, la hauteur sur pattes et le plumage bleu noir (photo J. Corder).
Les rectrices blanches constituent aussi un mystère par leur nombre fluctuant, par la variabilité de l’étendue du blanc et par leur disparition soudaine chez des faisans du Vietnam ou leur apparition soudaine chez des faisans d’Edwards (toute hybridation étant exclue). Un mâle F1 issu du mâle sauvage gardé à Hanoi a ainsi acquis une rectrice blanche à l’âge de 4 ans et un couple de faisans du Vietnam âgé de 10 ans ne montre plus aucune plume blanche après la mue de 2015.
Actuellement l’héritabilité des plumes blanches est étudiée dans le cadre de croisements expérimentaux : 20 hybrides ont été obtenus dont 14 ont été prélevés pour les analyses génétiques.
Le faisan d’Edwards est probablement éteint dans la nature et une réintroduction est envisagée à partir de sujets issus de la population captive. Le problème est d’obtenir des oiseaux aptes à vivre seuls en milieu naturel. La sélection doit être stricte et viser à enrichir autant que possible le patrimoine génétique des oiseaux à relâcher. Les analyses d’ADN effectuées depuis 3 ans doivent permettre de choisir des oiseaux non apparentés qui pourraient être les parents des oiseaux à relâcher, ce qui reviendrait à gérer une petite population de faisans d’Edwards sélectionnés à partir de néo-fondateurs choisis après analyse d’ADN.
Tout ceci explique pourquoi nous attendions les résultats d’analyses génétiques avec impatience.
La troisième série d’échantillons comprenait des prélèvements importants : des faisans d’Edwards du Japon, des faisans d’Edwards saisis au Cambodge, des faisans d’Edwards montrant des défauts de plumage, des faisans du Vietnam provenant du Vietnam, des hybrides expérimentaux faisan d’Edwards X faisan du Vietnam et un faisan impérial naturalisé issu de la petite population européenne aujourd’hui éteinte.
Les résultats des analyses d’ADN ne peuvent être interprétés que globalement c’est-à-dire en tenant compte de tous les échantillons séquencés depuis 3 ans. Au total ils se composent de :
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73 faisans d’Edwards : 52 de la population européenne, 6 des USA, 9 du Japon et 6 du sud-est asiatique ;
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38 faisans du Vietnam : 31 issus de la population captive européenne et 6 provenant du Vietnam ;
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14 hybrides expérimentaux faisan d’Edwards X faisan du Vietnam ;
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1 faisan impérial naturalisé ;
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22 faisans de Swinhoe dont 17 issus de la population européenne et 5 provenant de Chine ;
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19 faisans argentés de trois sous-espèces supposées : nycthemera, jonesi et berliozi.
Figure1 : graphe 3D représentant les différents génotypes : en rouge faisan argenté, en vert faisan de Swinhoe, en bleu faisan du Vietnam, en jaune faisan d’Edwards, en blanc métis expérimentaux Edwards X Vietnam (© WPA).
Nous rappelons que la première étude avait permis de sélectionner 15 marqueurs microsatellites*. L’analyse du polymorphisme nucléaire a été complétée par un séquençage d’ADN mitochondrial * (cytochrome b*). Pour chaque échantillon nous connaissons donc son haplotype *(ADN mitochondrial) et son génotype * (ADN nucléaire). Les résultats les plus importants sont les suivants :
Tous les faisans d’Edwards présentent la même haplotype, y compris le mâle sauvage gardé à Hanoi. Les faisans du Vietnam montrent trois haplotypes dont l’un commun aux faisans d’Edwards et un autre connu uniquement sur 4 oiseaux élevés au Vietnam. Tous ces haplotypes diffèrent faiblement les uns des autres.
Le faisan impérial montre un haplotype de faisan du Vietnam.
Les hybrides expérimentaux montrent deux haplotypes, l’un trouvé à la fois chez les faisans d’Edwards et l’autre chez les faisans du Vietnam.
Les faisans argentés présentent trois haplotypes, jonesi ayant un haplotype différent et berliozi ayant l’haplotype de nycthemera.
Tous les faisans de Swinhoe ont le même haplotype.
Il faut aussi noter qu’un hybride Edwards X Swinhoe a pu être détecté lors de ce travail.
Les génotypes séparent sans aucun doute tous les groupes analysés : faisan argenté, faisan de Swinhoe, faisan d’Edwards, faisan du Vietnam qui sont bien séparés sur un graphe (fig 1). Les hybrides expérimentaux, le mâle sauvage d’Hanoi, le faisan impérial se situent entre le nuage de points « hatinhensis » et le nuage de points « edwardsi ».
Deux des marqueurs ne marchent pas pour le faisan argenté.
Trois faisans d’Edwards montrent des traces d’hybridation avec le faisan de Swinhoe. Deux faisans de Swinhoe montrent des traces d’hybridation avec le faisan d’Edwards. Quatre faisans argentés montrent des traces d’hybridation avec le faisan d’Edwards ou le faisan de Swinhoe.
Parmi les faisans du Vietnam, un exemplaire gardé au Vietnam montre un génotype mixte edwardsi-hatinhensis, comme le mâle d’Edwards sauvage d’Hanoi donc. Les génotypes de deux faisans du Vietnam provenant d’Angleterre montrent qu’ils ont été croisés avec du faisan d’Edwards en captivité. Enfin le faisan impérial a un génotype mixte, mélange des génotypes des faisans d’Edwards, du Vietnam et argenté.
Le faisan du Vietnam a plus d’allèles *(37%) que le faisan d’Edwards pour le total des loci*, en grande partie apportés par les individus prélevés en Asie du Sud-est.
En conclusion, il n’y a pas de différences marquées entre les Edwards européens, américains ou japonais, donc pas de métapopulation au niveau mondial bien qu’il y ait des différences individuelles parfois intéressantes. Les Edwards élevés en Europe depuis presqu’un siècle sans apport de sang nouveau ont perdu des allèles encore présents chez les faisans du Vietnam et le mâle sauvage capturé en 1995.
Les faisans du Vietnam du sud-est asiatique ont plus d’allèles que leurs homologues européens captifs (résultant il est vrai d’un petit nombre de fondateurs). De plus, sur le graphe 1, ils sont situés en limite du nuage de points principal des faisans du Vietnam. Un croisement entre les faisans d’Edwards et les faisans du Vietnam serait donc susceptible d’accroître la diversité génétique de la population de faisans d’Edwards, surtout qu’il semble que les rectrices blanches ne sont pas toujours transmises aux métis (pour l’instant deux cas seulement sur 20 oiseaux). Néanmoins il est préférable de garder les deux formes séparées tant que l’origine génétique des rectrices blanches n’est pas parfaitement connue.
Tous les Edwards présentant des défauts de plumage (soumis à l’enquête durant l’hiver 2015/2016) ont des haplotypes et des génotypes typiques du faisan d’Edwards, sans aucun signe d’hybridation avec les faisans argentés ou de Swinhoe, de même pour les faisans du Vietnam ; ces oiseaux peuvent donc être utilisés dans le programme de conservation. Bien sûr la méthode (microsatellites) ne permet pas de repérer une hybridation remontant à plus de 3 ou 4 générations et il est possible qu’une hybridation ait eu lieu avant ; une des seules méthodes, plus récente, capable de détecter d’anciennes hybridations est l’approche génétique (ddRAD), plus coûteuse. N‘importe comment ces traces seraient minimes puisque les résultats obtenus ici montrent que le génotype est pur à 99%.
Les défauts de plumage pourraient être dus à une dérive génétique dans une vieille population captive consanguine ; un croisement récent avec le faisan du Vietnam est improbable car le génotype des hybrides (ou métis plutôt) est tout à fait caractéristique.
Le seul échantillon de faisan impérial a un haplotype de faisan du Vietnam différent de celui des Edwards captifs alors que les 12 faisans impériaux analysés jusqu’à présent (Hennache et al. 2003) ( Hennache A., Rasmussen P., Lucchini V., Rimondi S and Randi E (2003). Hybrid origin of the Imperial Pheasant “Lophura “imperialis” (Delacour and Jabouille 1924) demonstrated by morphology, hybrid experiments, and DNA analyses. Biol. J. Lin. Soc., 80 (4), 573-600.), dont 10 issus de la population fondée par Delacour, avaient un haplotype de faisan d’Edwards. Son génotype est typique du faisan d’Edwards avec une large part de faisan du Vietnam et une faible part de faisan argenté. Nous soupçonnons que ce mâle ne soit pas directement issu de la population d’origine du faisan impérial mais du croisement d’un faisan impérial avec un faisan d’Edwards.
Les caractéristiques de plumage affichées aujourd’hui par quelques femelles et mâles de faisan du Vietnam et les résultats de l’analyse génétique permettent d’avancer l’hypothèse que le faisan du Vietnam pourrait résulter de faisans impériaux (donc des hybrides Edwards X Argenté) qui auraient évolué dans des fragments forestiers et se seraient croisés à nouveau avec des faisans d’Edwards (back cross).
Les génotypes des faisans d’Edwards et du Vietnam sont légèrement différents mais les individus sauvages ont un génotype mixte hatinhensis-edwardsi. Il est possible que le génotype du faisan d’Edwards dérive du génotype d’oiseaux sauvages par perte d’allèles en captivité et que celui du faisan du Vietnam résulte du même génotype sauvage par évolution dans des habitats isolés et perte d’autres allèles. Ainsi tous deux descendraient d’un Edwards sauvage mais ayant évolué dans deux directions différentes.
Il existe aussi une autre hypothèse. Le faisan d’Edwards aurait occupé à l’origine une grande partie du centre-est du Vietnam et possédé des rectrices blanches (ou claires comme la plupart des Lophuras) mais une petite population, en centre Annam, aurait perdu ses rectrices blanches en donnant le phénotype connu et décrit par Oustalet. Delacour aurait justement prélevé tous ses faisans d’Edwards dans le Centre Annam. La forme type serait donc le faisan du Vietnam et le faisan d’Edwards en aurait découlé par évolution en Centre-Annam. Personnellement je ne crois pas en cette hypothèse pour deux raisons : d’abord parce que le caractère « rectrices blanches » est très variable, il ne s’agit pas d’un caractère fixé ; ensuite parce que j’ai souvent parlé avec Jean Delacour de ses sept expéditions en Indochine et qu’il m’a dit avoir parcouru tout le Vietnam ou avoir au moins envoyé des collecteurs partout dans le Vietnam et qu’il aurait alors au moins trouvé un exemplaire de faisan du Vietnam ou entendu parler d’un faisan à queue blanche dans les villages qu’il a traversés.
Ces analyses génétiques ont été complétées par un traitement des résultats à l’aide du logiciel COANCESTRY qui permet d’estimer les liens d’apparentement entre deux individus et donc de trouver les meilleurs couples appariant deux individus aussi différents que possibles. Ces calculs appliqués à la population totale de faisans d’Edwards ont montré que :
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29 couples reproducteurs à bonne diversité génétique étaient possibles ;
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dont 10 couples uniquement en Europe (et surtout 4 de très haut niveau génétique) ;
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bien qu’il n’existe pas de métapopulation, les Edwards américains et, à moindre degré, les japonais, étaient susceptibles d’apporter un sang nouveau dans la vieille population européenne ;
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les faisans d’Edwards confisqués au Cambodge sont légèrement différents des Edwards européens ; ils pourraient apporter du sang neuf soit en Europe soit dans la petite population gardée au zoo de Hanoi
Ainsi nous possédons aujourd’hui un bon outil pour gérer le stock captif, pour détecter les hybrides, pour améliorer la qualité génétique de la population de faisans d’Edwards et pour préparer quelques oiseaux pouvant être réintroduits. L’une des principales contraintes est aujourd’hui la réglementation internationale qui freine ou interdit dans certains cas tout échange entre pays différents.
Glossaire (cf bull WPA 66 page2)
Allèle : Les allèles sont les différentes versions d'un même gène.
Cytochrome b : C’est une enzyme intervenant dans la respiration. Elle dépend d’un gène mitochondrial.
Génotype : L’ensemble de l'information génétique (les gènes) d'un individu.
Haplotype : Un haplotype est un ensemble de gènes situés côte à côte sur un chromosome. Ils sont généralement transmis ensemble à la génération suivante.
Hétérozygote : Un individu est hétérozygote pour un gène quand il possède au moins deux allèles différents de ce gène.
Locus (au pluriel loci) : C’est l’emplacement précis d’un gène sur un chromosome.
Microsatellite : Un microsatellite est une séquence d'ADN formée par une répétition continue de motifs composés de 2 à 10 nucléotides
Mitochondrial : Les mitochondries sont des organites intracellulaires qui produisent l'énergie cellulaire. Au cours de l'évolution, les mitochondries ont conservé leurs propres gènes, distincts de ceux de l'ADN contenu dans le noyau de la cellule. La transmission de l’ADN mitochondrial est assurée par la mère.
Nucléotide : Un nucléotide est l'unité de construction de l’ADN (la « brique » de l’ADN).
Conservation in situ
Cette mise au point fait suite aux articles précédemment parus dans les bulletins WPA France N°70 (page 4) et N°72 (page 3).
Le principe d’une collaboration avec le Parc National de Cuc Phuong, concernant l’élevage du faisan d’Edwards préalable à une réintroduction, a été annulé, en raison de leur orientation de conservation (pangolins, primates, tortues) mais aussi parce que ce parc n’est pas situé dans l’aire de répartition connue du faisan d’Edwards. De plus l’expert en place envoyé par le zoo de Paignton a démissionné, ce qui changeait la donne. Et enfin parce que tout animal qui y est envoyé devient la propriété du département forestier sans possibilité de contrôle ultérieur. La visite prévue par Stewart Muir (représentant le zoo de Paignton et l’EAZA) et moi-même a donc été annulée.
La WPA ayant approuvé le plan d’action proposé par VietNature (Bull 72), le principe d’une visite et d’une concertation avec VietNature et le zoo de Hanoi a néanmoins été maintenu, pour connaître les moyens à mettre en œuvre. Pour raison médicale, je n’ai pas pu me rendre au Vietnam en mars 2016 et John Corder m’a remplacé de retour d’un voyage en Chine. Il a fait à son retour un rapport très complet dont nous allons utiliser ici quelques extraits.
Cette visite, bien que très rapide (du 3 au 5 mars 2016), lui a cependant permis de visiter plusieurs sites dans les provinces de Quang Binh et Quang Tri suivant un programme préparé par la présidente de VietNature, Mrs Pham Tuan Anh, et le directeur, Mr Le Trong Trai, en collaboration avec Mr Dang Gia Tung, directeur du Zoo de Hanoi. Les points les plus importants sont les visites du centre de sauvegarde des Parcs Nationaux de Phong Nha Ke Bang et de Khe Nuoc Trong gérée par VietNature ainsi que des réunions avec des responsables locaux, entre autres département de protection des forêts de Quang Binh et département de protection des forêts de Quang Tri.
Khe Nuoc Trong consiste en 20000 hectares de forêt de basse altitude dans la Province de Quang Binh. Il fait partie d’un massif plus étendu (82700 hectares) qui déborde sur la province de Quang Binh. Sa grande biodiversité est bien établie et le site a été classé comme une importante zone clé pour les oiseaux et la biodiversité (photos 6 et 7). Le centre de conservation de VietNature y est directement responsable de 781 hectares pour une durée de 30 ans. Cet endroit est situé dans l’aire de distribution de l’Edwards et son habitat convient à la réintroduction de cette espèce. Beaucoup d’autres espèces menacées peuvent y être observées.
Photo6 : le parc National de Khe Nuoc Trong (photo J. Corder).
L’accès est difficile, seulement possible en véhicule quatre roues motrices, cheminant sur un sentier de 15 km, croisant à d’innombrables reprises de petites rivières infranchissables à la saison des pluies. C’est là que VietNature projetait de construire ses volières pour l’élevage de conservation, proches de l’endroit où les faisans pourraient être relâchés pour la réintroduction, mais John Corder a soulevé les difficultés majeures que ce projet soulevait.
1- Le programme d’élevage nécessitera un personnel permanent qui devra vivre sur place non loin des volières. Ces employés devront disposer de nourriture en permanence, leurs familles devront disposer d’une école pour les enfants. Situer des volières dans un endroit aussi isolé signifie qu’il sera extrêmement difficile de trouver du personnel qualifié.
2- Tous les matériaux de construction devront être acheminés par des routes difficiles qui seront encore plus endommagées par le passage des engins de transport. De plus le personnel habitant sur place devra disposer d’eau, d’électricité et il n’y a aucun réseau sur place. Si une route est construite (à grands frais), elle facilitera l’accès des chasseurs qui pour l’instant ne peuvent que très difficilement accéder à cet endroit.
3- Pour l’instant, l’aspect pratique de la réintroduction n’a pas été discuté mais l’expérience montre que les oiseaux ne peuvent que très rarement être relâchés à partir des volières d’élevage. Des volières temporaires de pré-lâcher devront être construites, elles devraient pouvoir être démontées une fois la réintroduction faite pour servir ailleurs.
Suite à ces remarques, VietNature a rapidement accepté l’idée qu’il serait préférable de construire les centres d’élevage dans des zones contrôlées par les départements forestiers, avec un accès plus facile et où il serait plus facile d’attirer un personnel de qualité.
John Corder visita ensuite le département forestier de la Province de Quang Tri où il rencontra Mr Le Van Quy, directeur de ce département. C’est lui qui, plus jeune, avait trouvé en 1996 le mâle d’Edwards donné au Zoo de Hanoi (photo 8). Aujourd’hui il est proche de la retraite mais il a suggéré un site potentiel pour un centre d’élevage, non loin de la ville de Dong Ha mais placé sur les terres contrôlées par le Département forestier. Cette zone était destinée à des plantations d’acacias mais Mr Le accorderait la permission de l’utiliser pour la construction de volières. De plus étant bientôt en retraite et vivant non loin de là, il serait heureux de contrôler l’utilisation du centre d’élevage. La visite de cet endroit a montré qu’il semblait remplir toutes les conditions pour la construction d’un centre d’élevage.
Photo8 : Mr Le Van Quy, directeur du département forestier de la Province de Quang Tri indiquant l’endroit où le dernier mâle sauvage d’Edwards a été capturé (photo J. Corder).
Au cours de son périple dans les provinces de Quang Binh et Quang Tri, John a pu parfaitement distinguer l’ancienne zone démilitarisée de la guerre du Vietnam. Cette zone s’étendait sur environ 10 km de chaque côté de la rivière Ben Hai qui formait la frontière entre le Vietnam Nord et le Vietnam Sud. Beaucoup d’entre nous se souviennent de l’utilisation de l’Agent Orange, une bombe incendiaire et défoliante utilisée par les Américains pour stopper l’avancée des soldats Vietcongs dans la forêt. Bien sûr les endroits où l’Agent Orange a été utilisé sont aussi ceux où vivait le faisan d’Edwards. Même après plus de 40 ans, il est facile de voir où ce défoliant a été répandu car il n’y a aucun arbre, la végétation étant réduite à des buissons de piètre qualité. Ainsi le défoliant agit encore aujourd’hui et limite la repousse de la forêt (photo9).
Photo9 : photo montrant des sommets de colline traités à l’Agent Orange où aucun arbre ne peut repousser plus de 40 ans après l’épandage du défoliant (photo J. Corder).
Ce voyage a permis à la WPA et à VietNature de s’accorder sur un certain nombre de points. Ils sont d’accord aujourd’hui pour construire plus d’un centre d’élevage afin de se prémunir contre les dangers d’une maladie telle la grippe aviaire. Bien sûr cela va doubler les coûts qui devraient avoisiner le million de dollars mais VietNature s’est montré très habile pour lever des fonds pour Khe Nuoc Trong et espère que la communauté internationale des zoos pourra être une source de financement. John Corder a également suggéré d’approcher le gouvernement américain puisque leur utilisation de l’Agent Orange a probablement fait pencher la balance pour l’extinction du faisan d’Edwards.
2017 sera l’année du coq au Vietnam ; VietNature considère que c’est de très bon augure pour y commencer les programmes d’élevage.
VietNature accepte maintenant l’idée qu’ils auront besoin de conseils pour l’élevage du faisan d’Edwards au Vietnam et que la WPA comme l’EAZA pourraient jouer un rôle significatif en partageant leur expérience. Il fut aussi convenu que tout Edwards sauvage trouvé dans la nature intégrerait le programme d’élevage pour renforcer la diversité génétique. De plus, un ou deux oiseaux descendant du mâle sauvage pourraient être envoyés en Europe de façon à propager, autant que possible, les gènes du mâle sauvage.
Le projet devient donc un projet VietNature-WPA-Zoo de Hanoi (photo 10).
Photo10 : de gauche à droite : Pham Tuan Anh, présidente de VietNature, John Corder , WPA, Dang Gia Tung, directeur du Zoo de Hanoi et Mr Le Trong Trai, directeur de VietNature (photo J. Corder).
La réunion annuelle du groupe de travail vietnamien sur le faisan d’Edwards s’est tenue le 6 mai 2016 dans le Parc National de Bach Ma (Province de Thua Thien –Hue). Les représentants de VietNature, du Zoo de Hanoi, de tous les sites clés et tous les départements forestiers situés dans l’aire de répartition du faisan d’Edwards étaient présents, partageant avec enthousiasme les résultats de leurs efforts dans la recherche de l’Edwards au cours de l’année écoulée (photo11). La réunion portait aussi sur l’avancée dans le programme d’élevage de conservation.
Photo11 : les participants à la réunion annuelle du groupe de travail vietnamien sur le faisan d’Edwards tenue le 6 mai 2016 dans le Parc National de Bach Ma (photo Viet Nature Conservation Centre).
Parallèlement aux caméras automatiques disposées en continue à Khe Nuoc Trong, VietNature a collaboré avec les responsables de sites pour organiser des recherches dans les réserves naturelles de Ke Go, Phong Dien (photo 12), Bac Huong Hoa, dans la commune de Huong Hiep (district de Dakrong, province de Quang Tri). Les caméras ont été mises en œuvre plus de 1600 jours à Khe Nuoc Trong, 1300 et 1600 jours respectivement à Bac Huong Hoa et dans la commune de Huong Hiep, district de Dakrong (où le mâle sauvage fut capturé, confisqué par le Département des forêts de Quang Tri et donné au zoo de Hanoi en 1997), couvrant 4 à 5 hectares d’habitat potentiel pour le faisan d’Edwards. Malheureusement aucun Edwards n’a été enregistré. Cependant les observations ont fourni de nombreuses données sur le statut de la faune et sur les menaces concernant ces sites. C’est pourquoi tous les responsables présents souhaitent contribuer à ce travail et étendre le réseau de caméras l’an prochain, avec le support technique (et l’équipement) de VietNature.
D’autres observations intéressantes ont été faites concernant entre autres le canard à ailes blanches (Cairina scutulata) à Ke Go, la civette d’Owston (Chrotogale owstoni) à Phong Dien et d’assez bonnes populations de primates (incluant le Langur de Douc, Pygathrix nemaeus) et d’ongulés à Bac Huong Hoa. Le résumé des résultats (outre Khe Nuoc Trong) figure dans la figure 2.
Figure2 : résultats des prises de vue automatiques à Ke Go, Bac Huong Hoa et Phong Dien (©Viet Nature Conservation Centre).
Les membres du groupe de travail ont aussi activement recherché, en 2015-2016, les endroits possibles pour construire des centres d’élevage et préparer une future réintroduction de l’espèce. Les situations idéales doivent comprendre un accès aisé, un réseau électrique, ne pas être trop loin des points d’eau mais pas trop près des zones habitées et des volailles domestiques. Le groupe a aussi pour priorité de lancer un programme de sensibilisation pour financer et pour accélérer son projet de conservation dans l’année du Coq en 2017.
Photo7 : le parc National de Khe Nuoc Trong (photo J. Corder).
Photo12 : réserve naturelle de Phong Dien (photo Viet Nature Conservation Centre).
Photo13 : caméra automatique, faisan prélat à Ke Go (photo Viet Nature Conservation Centre).
Photo14 : caméra automatique, troupe de langurs de Douc à Bac Huong Hoa (photo Viet Nature Conservation Centre).
Photo16 : caméra automatique, rheinarte d’Annam à Phong Dien (photo Viet Nature Conservation Centre).
Photo17 : caméra automatique, muntjac du Truong Son à Phong Dien (photo Viet Nature Conservation Centre).