Alimentation et santé
Par Alain Hennache
(résumé de la communication donnée le 16 septembre 2000)
Article édité dans le N° 26 du bulletin de WPA France
Les régimes alimentaires sont extrêmement variables suivant les espèces animales; herbivores, granivores, frugivores, nectarivores, insectivores, carnivores, piscivores…Tous reflètent cependant des besoins physiologiques précis pour une espèce donnée. Ils correspondent souvent aussi à des spécificités anatomiques ou physiologiques des animaux : présence d'une flore intestinale spécifique, transit alimentaire très rapide, besoins élevés en protéine ou en énergie. L'élevage en captivité doit donc satisfaire ces besoins spécifiques, s'il veut garder les animaux en parfait état, aptes à reproduire. Toute erreur commise en alimentation a des répercutions plus ou moins graves sur la santé de l'animal.
Dans la suite de cet exposé, nous parlerons essentiellement des phasianidés et des anatidés.
Principes généraux
Tout aliment se décompose en trois fractions :
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La matière minérale : c'est elle qui permettra l'élaboration de la charpente osseuse
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La matière organique, qui se décompose elle-même en cinq groupes :
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La matière azotée ou protides : elle permet l'élaboration des tissus
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Les lipides, qui ont peu d'importance pour les deux groupes d'oiseaux qui nous intéressent
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Les glucides : ce sont les sucres et amidons qui fournissent l'énergie
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La cellulose brute : elle n'est pas digestible mais c'est elle qui assure le transit digestif
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Les vitamines : substances que l'oiseau ne peut généralement pas synthétiser mais qui, à faible dose, interviennent dans de multiples cycles biochimiques.
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L'eau : c'est elle qui permet l'évacuation des déchets de l'organisme sous forme d'urine.
Les besoins, que ce soit en matière minérale, en protides, en glucides, en vitamines, etc., varient suivant :
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L'âge des individus :
La croissance exige plus de protides, d'acides aminés indispensables, de calcium, de phosphore. La ponte exige des régimes riches en calcium et vitamines A, D3, E, alors qu'en période d'entretien (période de repos, correspondant sensiblement à l'automne et à la première partie de l'hiver), les besoins sont moindres. Par exemple, les besoins en matières protéiques sont de 22 à 26% pour des faisans en croissance et ils ne seront que de 18% en période d'entretien ; ils sont de 20% pour des canards de surface en croissance, et ne seront que de 16% en période d'entretien.
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L'espèce :
L'apport en matière protéique sera de 30% pour des canards de mer en croissance alors qu'il ne sera que de 20% pour des canards de surface, durant la même période. Les tragopans et eulophes nécessitent des apports protéiques moindres que les autres faisans (sauf les deux ou trois premières semaines)…
Apport protéique
Les protides sont nécessaires à l'élaboration des tissus, notamment des muscles. Ils se décomposent en acides aminés assimilables par l'organisme.
Certains acides aminés sont indispensables, car non ou faiblement synthétisés par l'organisme : lysine, méthionine. Ils doivent donc être apportés par l'alimentation. Les acides aminés soufrés participent à l'élaboration de la matière protéique des plumes : méthionine, cystine, arginine. Ils jouent un grand rôle dans la structure du plumage d'un oiseau. Enfin, outre les apports en acides aminés indispensables, l'équilibre entre les acides aminés est aussi important.
La dégradation des protéines par l'organisme aboutit à l'acide urique, éliminée par les reins sous forme d'urine. Il s'agit de la matière blanche bien connue, présente dans les fientes d'oiseau.
Problèmes liés à l'apport des protéines
Ces problèmes de santé proviennent soit d'un excès de protéines, soit d'une carence.
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Excès de protéines.
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La goutte : l'acide urique n'est plus totalement éliminé par le sang et les reins et précipite sous forme de cristaux en diverses parties du corps ; articulations, sacs aériens, foie, péricarde, reins, uretères. La goutte est généralement accompagnée d'une dégénérescence des reins et du foie, et de liquide d'ascite dans la cavité générale.
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Problèmes de croissance : un excès de protéines pendant la période de croissance peut entraîner une prise de poids excessive que le squelette, en croissance lui-même, ne supporte pas toujours, d'où des déformations des ailes et des pattes. Chaque organe a sa propre vitesse de croissance : il y a donc mise en place progressive des différentes parties de l'oiseau et équilibre entre les vitesses de croissance. Si un organe a une vitesse de croissance supérieure à la normale, cela se traduit généralement par des problèmes plus ou moins graves liés à ce déséquilibre.
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Insuffisance en protéines.
L'oiseau utilise alors ses propres réserves musculaires, d'où un amaigrissement et parfois un blocage rénal par les précipités d'acide urique provenant de cette autodégradation.
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Carence en acides aminés.
Les besoins en acides aminés soufrés sont importants pendant la croissance puisqu'ils participent à l'élaboration des protéines des plumes. Leur carence entraîne des symptômes spectaculaires : décoloration du plumage, plumes mal formées dont les gaines ne tombent pas, barbes des plumes agglomérées, picage,…C'est pourquoi l'apport en méthionine notamment doit être bien contrôlé.
Glucides et énergie
Les aliments apportent des glucides essentiellement sous forme d'amidon et de cellulose. La cellulose n'est pas digestible, mais c'est elle qui assure le transit intestinal. Son rôle est donc important. Les glucides apportent l'énergie nécessaire à la fabrication des protéines. A partir des glucides, l'organisme fabrique aussi des acides gras (graisse).
Une partie de l'énergie brute contenue dans l'aliment est éliminée par les fécés et l'urine. Il n'en reste donc qu'une fraction qui puisse être utilisée par l'oiseau : c'est l'énergie métabolisable. Elle est égale à l'énergie brute moins l'énergie éliminée.
Les besoins en énergie métabolisable dépendent de l'espèce, de l'âge et de l'activité. Ils sont d'environ 2800kcal (lire kilocalories) pendant la croissance et la ponte et d'environ 2500 kcal pendant la période d'entretien. Ces besoins sont plus importants en hiver, lorsqu'il fait froid, qu'en été.
Problèmes liés à l'apport des glucides
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Ration trop riche en glucides
Une ration trop énergétique entraîne un engraissement excessif de l'oiseau, d'où une dégénérescence du foie, une hépatomégalie (accroissement de la taille du foie) et une décoloration. L'exemple le plus connu est le foie gras, bien connu de nos gastronomes. Certains aliments sont particulièrement riches en énergie, comme le maïs. L'engraissement excessif se traduit par des dépôts de graisse sur les organes (cœur, anses intestinales, etc.) et parfois des accidents cardiaques.
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A l'inverse une ration trop pauvre en énergie peut se traduire par une surconsommation de la part de l'oiseau, d'où un excès possible dans l'apport des protéines.
Matière minérale
La matière minérale participe à l'élaboration de la charpente osseuse et de la coquille de l'œuf. Elle joue aussi un rôle important dans le métabolisme.
On distingue deux types de sels minéraux :
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Les sels minéraux principaux : ce sont le calcium, le phosphore, le sodium, le chlore, le potassium et le magnésium.
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Les oligoéléments, qui agissent à doses infinitésimales mais qui participent à de nombreux cycles biologiques. Ils sont indispensables et doivent être apportés par l'alimentation. Ce sont le zinc, le manganèse, l'iode, le fer, le cuivre, le cobalt et le sélénium.
Les besoins en sels minéraux sont variables mais on peut les fixer à :
Calcium : 1% en croissance et 2,5 à 3% en ponte
Phosphore : 0,7% de phosphore total en croissance
Sodium : 0,15%
Sélénium : 0,14 ppm (lire partie par million)
Les carences minérales
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Le rachitisme
Il est souvent rencontré entre 10 et 30 jours d'âge. Il s'agit d'une carence en calcium et phosphore. D'où des difficultés de déplacement, des troubles du plumage, des déformations osseuses. Les os et le bec sont mous, caoutchouteux. Ils peuvent parfois être tordus sans casser. Le rachitisme est généralement associé à une carence en vitamine D3.
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Carence en oligoéléments
La carence en oligoéléments entraîne des troubles métaboliques dont l'origine n'est pas toujours identifiable. Cette carence en oligoéléments peut provenir d'un défaut d'absorption intestinale dû à une entérite qui est elle même provoquée par autre chose, par exemple du parasitisme. Les exemples les plus connus sont :
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Le plumage mouillé des canards, dû soit à un défaut de secrétion de la glande uropygienne, soit à un parasitisme massif, par des vers plats par exemple, qui entraine lui même un défaut d'absorption intestinale.
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Le perosis, chez les faisans et canards, qui est une déformation de l'articulation tibio-métatarsienne, avec luxation du tendon sur le côté, proviendrait d'une carence en manganèse, zinc et vitamines du groupe B. Il serait lié à une carence dans l'alimentation des parents.
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Troubles de l'équilibre et incoordination motrice : le poussin a la tête renversée en arrière, le cou plus ou moins tordu sur le côté. Il s'agit d'une carence en sélénium associée à une carence en vitamine E. Une simple piqûre de sélénium suffit souvent pour un spectaculaire retour à la position normale !
Les vitamines
Ce sont des substances organiques agissant à doses infinitésimales mais que l'organisme ne peut pas synthétiser. L'apport dans la ration alimentaire est donc indispensable.
On distingue deux groupes de vitamines :
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Les liposolubles, solubles donc dans les huiles : Vitamines A, D, E et K
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Les hydrosolubles, solubles dans l'eau : vitamines du groupe B et vitamine C.
Les besoins en vitamines varient suivant l'espèce, l'âge et la période de l'année. Les besoins sont par exemple moindres chez les palmipèdes. Ils sont accrus en période de croissance ou de ponte.
Pour les faisans il est possible de donner les normes suivantes, bien qu'elles varient suivant les auteurs.
Vitamine A : 1 500 000 UI (lire unités internationales) par 100kg d'aliment, en croissance
1 200 000 UI par 100kg, en ponte
Vitamine D3 : 250 000 IU par 100kg
Vitamine E : 2500 UI par 100kg, en croissance
2000 UI par 100kg, en ponte
Choline : 500 ppm par 100kg, en croissance
300 ppm par 100kg, en ponte
Acide pantothénique : 10 ppm par 100kg, en croissance
20 ppm par 100kg, en ponte
Biotine : 10 mg par 100kg
Acide folique : 40 mg par 100kg, en croissance
70 mg par 100kg, en ponte
Carences en vitamines
Les symptômes des carences en vitamines ne sont pas typiques d'une carence en une vitamine plus particulièrement. Chacun peut être associé à des carences en plusieurs vitamines. De plus ces carences sont souvent associées à des carences en oligoéléments.
Parmi les principaux symptômes on trouve :
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Le retard de croissance : généralement dû à des carences en vitamines A et D3, associées à une carence en calcium ou phosphore. Il peut aussi être dû à une déficience en vitamine B1, B6, B12, en acide pantothénique, en biotine ou en choline…
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Le défaut d'emplumement : carence en vitamine A, en acide pantothénique ou en biotine
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Les troubles nerveux : carence en vitamine E généralement associée à une carence en sélénium. Des carences en acide pantothénique ou en biotine peuvent provoquer les mêmes symptômes…
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Déformation osseuse : carence en vitamine D3, mais peut aussi être due à une déficience en choline ou en biotine…
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Faiblesse des pattes : carence en vitamines A, ou en biotine
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Anémie : carence en vitamine E ou K
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Lésions oculaires : généralement dues à une carence en vitamine A mais peuvent aussi être provoquées par des carences en acide pantothénique ou en biotine.
L'eau
L'eau participe à l'élimination des déchets de l'organisme sous forme d'urine. Elle joue donc un rôle primordial . A noter que les palmipèdes ont besoin d'une grande quantité d'eau pour éliminer ces déchets en raison de la structure particulière de leurs reins. Le manque d'eau peut provoquer une déshydratation puis la mort.
Trop peu d'éleveurs prête une attention particulière à l'eau distribuée à leur pensionnaire et pourtant la qualité physique et biologique de l'eau peut avoir une influence directe sur la santé des oiseaux.
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Un excès de chlorures et sulfates est susceptible de provoquer des entérites diarrhéiques
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Un taux de plomb trop élevé peut provoquer du saturnisme, puis la mort.
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La présence de bactéries peut entraîner des infections mortelles : salmonelles et Escherichia coli par exemple.
La connaissance de la qualité de l'eau est donc primordiale, surtout s'il ne s'agit pas d'une eau potable distribuée par les réseaux.
Les intoxications
De nombreuses intoxications sont soit liées à l'aliment distribué soit à une ingestion accidentelle.
Intoxications alimentaires
Elles sont dûes à des champignons se développant à la surface des aliments, et résultent d'une mauvaise conservation liée à un stockage défectueux. On parle alors de mycotoxicoses. Les champignons secrètent des toxines souvent mortelles.
Les agents en cause sont :
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Les aspergillus qui agissent par des aflatoxines : les symptômes sont l'incoordination motrice, la congestion, la cyanose (bleuissement des parties charnues chez les faisans). De plus la toxine provoque une immunodépression qui favorise les infections par d'autres agents, microbiens cette fois.
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Les fusariums qui agissent par la zéaralénone ou des trichothécènes. Ils provoquent une hépatomégalie avec dégénérescence graisseuse, un blocage rénal et parfois une atrophie testiculaire. Ils bloquent aussi l'absorption de la vitamine D3, ce qui peut entraîner une fragilité osseuse.
Intoxications accidentelles
Elles peuvent être dues soit à des médicaments, soit à des pesticides, soit à des désinfectants.
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Médicaments
Il s'agit en général d'un surdosage, dû à une erreur dans le calcul de la posologie. Signalons les nitrofuranes qui provoquent des troubles nerveux et les sulfamides qui peuvent entrainer des hémorragies mortelles, que ce soit au niveau de la peau, des muscles ou des viscères.
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Pesticides
Ils sont ingérés soit par des semences soit par de l'herbe traitée. Les organophosphorés provoquent difficultés respiratoires et symptômes nerveux. Les organochlorés, des troubles nerveux et la stérilité. Le thirame, qui est un fongicide utilisé notamment dans la lutte contre les lapins ou contre la cloque des arbres fruitiers, entraîne des chutes de ponte.
Les rodenticides sont des produits employés pour lutter contre les rongeurs (rats, souris, mulots, campagnols). Ce sont des anticoagulants, provoquant des hémorragies mortelles, que les oiseaux peuvent absorber avec les graines (blé, avoine généralement) qui servent de support. Enfin citons la chloralose, autrefois employée pour se débarrasser des corvidés, qui provoque sommeil, hypothermie, coma et mort.
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Désinfectants
Parmi les principaux désinfectants susceptibles de provoquer des intoxications citons :
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Le carbonyle employé pour la protection des bois : il entraine des difficultés respiratoires.
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Le sulfate de fer employé pour traiter les pelouses contre les mousses, et donc ingérable par des oies par exemple : il provoque des ulcères du proventricule.
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Le sulfate de cuivre, utilisé pour se débarrasser des algues dans des bassins : il entraine des diarrhées hémorragiques, des convulsions et une paralysie.
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Le formol, utilisé par exemple en incubation artificielle, provoque des conjonctivites, une ulcération de la cornée et des difficultés respiratoires.
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Enfin l'eau de Javel, pourtant largement recommandée, peut avoir une action indirecte mortelle. Elle a en effet la propriété de faire sortir les lombrics, lorsqu'elle est répandue à la surface du sol. Ces lombrics sont imprégnés par l'eau de javel et ne tardent généralement pas à mourir. Ils constituent des proies de choix pour nos faisans, limicoles qui s'en gavent et finissent par en mourir, eux aussi !
Quelques symptômes de malnutrition
Quelques symptômes sont typiques d'une malnutrition. Toutefois tous peuvent avoir une autre origine et aucun d'entre eux ne peut, seul, faire affirmer qu'il y a malnutrition. Par contre, la conjugaison de plusieurs de ces symptômes devrait immédiatement vous mettre en alerte. On citera :
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La peau sèche, manquant d'élasticité, plus ou moins écailleuse
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La glande uropygienne gonflée
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Un plumage déficient avec des plumes mal développées après la mûe, plus ou moins décolorées
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Le picage
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Le bec et les ongles excessivement longs, recourbés
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Une faiblesse musculaire
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De l'obésité
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Les os déformés et mous
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Des boiteries
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Les yeux collés et les narines bouchées par des amas
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L'urine colorée et abondante.
Conclusion : quel aliment ?
Autrefois l'alimentation était empirique et naturelle ; œufs de fourmis, flans, œufs durs pour les faisandeaux…Aujourd'hui la connaissance des besoins alimentaires des oiseaux a fait de grands progrès, pour de nombreux groupes d'oiseaux d'ailleurs. Toutefois elle reste encore incomplète et les aliments composés ne sauraient toujours être la panacée universelle.
A chaque fois que cela est possible, il faut faire confiance aux aliments composés : extrudés, patées, granulés…Leur fabrication résulte généralement des recherches en diététiques effectuées ces dernières années. Ces aliments sont parfaitement au point pour les grues, anatidés, flamants, limicoles, et la plupart des faisans. L'adjonction d'aliments naturels à ces aliments composés est généralement déconseillée car susceptible de déséquilibrer la ration alimentaire : le maïs se traduit par un apport excessif en glucides, le blé par un apport excessif en protéines. Dans le cas d'apport supplémentaire de ces céréales, la formulation de l'aliment composé devrait en tenir compte et dans tous les cas l'aliment composé devrait représenter au moins les deux-tiers de la ration.
Par contre, les besoins demeurent mal connus pour certains groupes d'oiseaux dans une même famille, et surtout chez les phasianidés. Si les aliments composés type " faisans " conviennent pour la faisan de chasse (genre Phasianus) et pour des groupes proches (Syrmaticus, Catreus, Chrysolophus, Gallus, etc.) , ils restent déséquilibrés pour des genres éloignés, soit plus frugivores (Tragopan, Pucrasia), plus végétariens (Pucrasia, Pavo), soit plus insectivores/frugivores (Polyplectron). Dans ce cas, l'apport de fruits, d'insectes, de verdure diverse demeure indispensable.
Enfin il est important de signaler que des oiseaux nourris avec des aliments naturels, acceptent rarement les aliments composés immédiatement. Il faut donc prévoir une phase d'adaptation plus ou moins longue et d'autant plus nécessaire qu'il ne faut jamais passer non plus brutalement d'un alimentation naturelle à une alimentation composée ou vice versa.