L'élevage des éperonniers
Les éperonniers constituent un groupe suffisamment homogène par l'alimentation, les comportements, les parades pour que nous traitions l'élevage d'une façon globale en signalant toutefois les différences entre espèces, liées à la fois à la structure sociale et à l'habitat d'origine des oiseaux.
Les éperonniers sont élevés en couple, bien que, par exemple, des trios soient possibles avec le chinquis, d'après notre propre expérience. L'une des difficultés majeures provient du caractère du mâle qui peut devenir très agressif envers sa femelle et même la tuer ; seuls le chinquis, et à moindre degré le germain, font exception à la règle et mènent généralement des vies de couple paisibles. Robbins (in litt.) a aussi noté que, parfois, des femelles de Rothschild pouvaient se montrer agressives envers le mâle, notamment en période d'élevage des jeunes. Par contre les éperonniers peuvent être élevés sans problème en mélange avec d'autres espèces de colombes, touracos, passereaux.
Le logement ne nécessite pas de grandes surfaces ; 3 x 5m, pour une hauteur de 2m, suffisent et même moins. Nous connaissons des éleveurs, comme Gary Robbins, qui réussissent parfaitement l'élevage des éperonniers dans des volières entièrement fermées de 3 x 2m. A l'inverse, des volières de grande dimension et plantées permettent aux oiseaux de s'éviter s'ils le désirent. Le plus important est de prévoir des caches où la poule pourra se réfugier en cas d'attaque du mâle. Celles-ci peuvent être constituées soit par de la végétation basse ou des bambous, soit par des cageots retournés, soit par des films brise-vent ou des claies. Les perchoirs ont une grande importance car, outre leur rôle habituel pour le perchage nocturne, ils permettent à un partenaire d'échapper à une agressivité modérée et passagère de son conjoint. Il est aussi utile de prévoir des loges d'isolement qui serviront à séparer mâle et femelle en cas de scènes de ménage répétées ; elles peuvent être soit un compartiment de l'abri, soit une volière adjacente mais, dans tous les cas, elles doivent permettre aux oiseaux de se voir ou au moins de communiquer par des cris. Le sol doit être bien drainé ; il peut être de sable, d'écorces ou de tourbe. L'abri est indispensable, même pour les espèces qui sont réputées rustiques, comme le chinquis ou le Rothschild, car il permet aux éperonniers de s'abriter des courants d'air, des vents froids ou des pluies continues. Le chauffage, ou au moins le hors-gel suivant les régions, est indispensable pour l'éperonnier à queue bronzée, le germain, le malais et le napoléon, les plus grands risques étant celui de gelure des doigts ; que d'éperonniers avons-nous pu voir auxquels il manquait des doigts, quand leurs extrémités n'étaient pas réduites à de simples moignons ! Le chauffage favorise aussi la reproduction de ces espèces, même pour celles réputées rustiques ; nous connaissons des éleveurs, comme Keith Chalmers-Watson, qui maintiennent en permanence leurs éperonniers dans des volières intérieures chauffées à 22°C. Les meilleurs succès de reproduction du malais, au zoo de New York, l'ont été dans des serres volières de grandes dimensions.
La formation du couple est souvent une période délicate. Il est préférable d'accoupler de jeunes oiseaux, les ré-appariements posant souvent des problèmes avec les adultes. La période la plus favorable est l'été ou l'automne, lorsque les éperonniers terminent leurs mues et sont encore loin de la prochaine saison de reproduction. Il est à remarquer que, chez l'éperonnier malais, la mue peut se produire à n'importe quel moment de l'année ; c'est à ce moment là qu'il faut constituer les couples (Gary Robbins in litt.) Avec des adultes, il est prudent de procéder à une mise en contact préalable, les deux partenaires étant logés dans deux volières adjacentes. S'il s'agit d'un ré-appariement, à la suite du décès d'un des oiseaux du couple, il est préférable de retirer le conjoint survivant de sa volière, de l'installer dans une loge voisine et de placer le nouvel arrivant dans la volière laissée libre, afin qu'il prenne connaissance de son nouvel environnement, sans stress lié à la présence d'un congénère maître de son territoire. Une fois le couple formé, il est conseillé de toujours laisser les conjoints ensemble mais il ne faut surtout pas se fier aux apparences…
Dès la fin de l'hiver, le coq commence à être plus agité, amorçant des simulacres de parade et se montrant plus pressant auprès de la poule. C'est alors qu'il y a des risques d'agression mortelle, si la femelle n'est pas prête à pondre et refuse le mâle. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles nous déconseillons de ré-accoupler un mâle adulte veuf à une jeune femelle. Cette agressivité chez les éperonniers, mis à part le chinquis et le Germain, est probablement liée à leur structure sociale, les oiseaux vivant naturellement seuls en dehors du moment de reproduction. Un couple n'ayant jamais posé de problèmes depuis plusieurs années peut soudain se déchirer si les deux partenaires ne sont pas synchronisés à cette période. Il existe aussi des mâles ayant tué plusieurs poules consécutivement ; dans ce cas il est conseillé de ne pas les ré-accoupler et de ne pas les céder à un collègue sans l'informer des risques que présentent ces oiseaux…inutile de faire tuer une autre femelle !
L'alimentation découle de ce qui a pu être observé dans la nature, ces faisans se nourrissant à égales proportions de fruits et d'invertébrés. En captivité, ils s'adaptent bien aux aliments composés : par exemple un mélange de granulés-faisans, titrant 18-20% de protéines, auquel on adjoint une pâtée insectivore, quelques graines de type millet, des fruits coupés et des vers de farine. Il faut surtout veiller à ce que les compléments, notamment les vers de farine, ne deviennent pas leur alimentation de base, ce qui pourrait amener les oiseaux à dédaigner les aliments composés. C'est pourquoi il est préférable de ne distribuer ces compléments que deux ou trois fois par semaine.
La saison de reproduction commence tôt ; les chinquis, par exemple, sont toujours les premiers de nos faisans à pondre, dès février. Au mois de janvier, quand les jours s'allongent, le mâle commence à parader, annonçant le printemps. Normalement les éperonniers se reproduisent à l'âge de deux ans mais, en captivité, nous avons souvent vu des poules pondre avant l'âge d'un an : 9 mois par exemple pour une femelle de Germain ; 11 mois pour une femelle de Napoléon ; avant l'âge d'un an pour une femelle de Rothschild (Robbins in litt.). Pour tout amateur de faisans, cette période est l'une des plus réjouissantes de l'année, quand les mâles chantent, paradent, rectrices, rémiges, huppe déployées, exhibant ainsi leurs ocelles, leurs reflets métalliques bleus, verts, violacés, mordorés.
La femelle pond soit dans une caisse au sol, garnie de sable ou de feuilles, posée ou non dans un coin de l'abri, soit dans une cavité qu'elle s'est creusée sous un abri : buisson, rocher, tronc, …La ponte est généralement de deux œufs, sauf pour malacense ssp., pondus à deux jours d'écart. Si les œufs sont retirés, les pontes suivantes, au nombre de trois ou même quatre parfois, se suivent toutes les trois à six semaines. Chez l'éperonnier de Hardwicke, Gary Robbins (in litt.) a noté que, la veille de la ponte, la poule se tient dans un coin de l'abri ou sur un perchoir, plus ou moins prostrée, semblant malade : il relie cette attitude à la taille de l'œuf pondu, beaucoup plus gros que ceux des autres éperonniers.
L'incubation peut être naturelle ; dans ce cas il est préférable de prévoir une possibilité d'isolement du mâle au moment de l'éclosion des poussins, bien que certains coqs, et pratiquement tous les chinquis, se comportent de façon très familiale avec leur progéniture. L'incubation artificielle ne pose pas de problèmes particuliers à 37°5 C et 55% d'humidité relative.
L'élevage naturel est préférable, les poules d'éperonniers se montrant de très bonnes mères mais l'élevage artificiel, plus délicat, est possible.
Les poussins d'éperonniers sont timides, quoique ceux de Rothschild se montrent plus actifs que ceux des autres espèces, et ne mangent pas seuls les premiers jours ; naturellement, ils sont nourris au bec par leur mère. Il faut donc soit leur donner régulièrement des vers de farine mous (venant de muer) trempés dans de la pâtée premier âge soit mettre avec eux un poussin débrouillard, de taille similaire, un bankiva par exemple, qui leur montrera comment se nourrir. Il a aussi été observé, en élevage naturel, que les poussins, durant les premiers jours, suivaient leur mère dans l'ombre de la queue et qu'ils se réfugiaient facilement sous ses ailes. Ce comportement est intéressant car, en élevage artificiel, il est facile de remarquer que le poussin essaie de se cacher sous la main de l'éleveur et que, dans nombre de cas, un poussin seul dans une cage d'élevage est perdu, tourne en rond, piaillant, refusant même toute nourriture (particulièrement le Napoléon, d'après notre propre expérience, le Hardwicke et le Rothschild, d'après Gary Robbins). C'est pourquoi, il est conseillé de disposer dans un coin de la boîte d'élevage un abri, qui peut être une petite boîte de carton ou une mini hutte en brindilles de conifères, ce qui permet au poussin de se dissimuler. Certains éleveurs (Gary Robbins, Don Bruning) utilisent même des plumeaux de ménage qu'ils pendent plumes en bas, et que le poussin adopte immédiatement !
En cas d'élevage par poule couveuse, il faut choisir les races les plus petites possible ; en effet les poussins de poule ou d'autres espèces de faisans ont tendance à fuir de sous la poule en cas d'alerte, mais ceux d'éperonniers essaient de se cacher sous la queue de la mère adoptive ; celle-ci peut alors les écraser accidentellement en marchant simplement dessus (Robbins in litt.).
Dès que les poussins mangent seuls (vers trois ou quatre jours), il est possible de leur donner une pâtée premier âge complétée par quelques vers de farine mous ou coupés en morceaux. Vers l'âge de deux semaines, la ration comprend, en plus, quelques graines de millet et des miettes de fruits. Puis, progressivement, elle est modifiée au fur et à mesure de la croissance pour être celle de l'adulte vers 12 semaines.
De nombreux auteurs l'ont signalé, et nous l'avons aussi observé, lorsque deux poussins naissent d'une même ponte (de deux œufs donc), il s'agit invariablement d'un couple. Certains ont prétendu que l'un était alors plus foncé que l'autre et qu'il s'agissait d'un dimorphisme sexuel, bien que personne ne soit d'accord pour dire si le poussin femelle était plus sombre que le poussin mâle ou vice versa. Pour notre part nous n'avons jamais observé de différences de couleurs notables (tout du moins chez les éperonniers à queue bronzée, les chinquis, Germain, Rothschild, ou Palawan) et nous ne prendrons pas part à ce débat !
Les sexes sont difficiles à discerner avant l'âge de 20 à 24 semaines, particulièrement chez le Napoléon, quoique Kuah (in litt.) déclare qu'un dimorphisme sexuel existe chez l'éperonnier de Bornéo pratiquement dès la naissance.
Vers l'âge de quatre ou cinq mois, les mâles ont des queues plus longues, des tarses plus grands et le dessin des ocelles commence à apparaître. Toutefois, un éleveur expérimenté dans l'élevage des éperonniers remarquera que les poussins mâles, dès l'âge d'un mois, ont une attitude plus dressée sur les pattes, tenant la tête plus haute (Robbins in litt. & obs.pers.).
Compte tenu de la maturité sexuelle fluctuante en captivité, il est déconseillé de laisser les jeunes de l'année ensemble au delà de l'âge de neuf mois.
A l'exception de celui de Hardwicke, les éperonniers ne posent pas de problèmes pathologiques particuliers à leur groupe ; les maladies observées sont celles de tous les autres faisans. Par contre il semblerait que les femelles soient particulièrement sensibles aux transports lorsqu'elles sont en période de ponte, ce qui pourrait entraîner des pontes abdominales ou des rétentions d'œufs (obs.pers.). Dans le cas de l'éperonnier de Hardwicke, Robbins (in litt.) et Bruning ont constaté qu'un pic de mortalité des mâles se produisait en hiver, lors du transport des animaux ; ceci a été relié à des poussées d'aspergillose liées au stress auquel les oiseaux seraient plus sensibles en hiver, période où ils entrent en reproduction dans leur patrie d'origine.
par Alain Hennache
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Pour en savoir plus
MONOGRAPHIE DES FAISANS